photo d'un champignon dans les feuilles d'automne.

Des champignons et des Hommes

Dimanche 17 septembre, dans le cadre de l’Étonnant Festin, l’ethnobotaniste Sophie Lemonnier présentera une conférence intitulée “Des champignons au goût des hommes.” Dans cette interview, elle nous raconte son rapport avec nos amis fongiques.

Sophie Lemonnier, pouvez-vous nous présenter la conférence que vous allez donner à l’Étonnant Festin ?

Il s’agit de relater des enquêtes issues d’un travail ethno-mycologique – NDLR travail qui se concentre sur le lien entre les humains et les champignons – effectué sur plusieurs années autour des relations entre les habitants de ma région, les Cévennes, et les champignons. Je tiens cependant à préciser que je ne suis pas mycologue ! 

Si vous n’êtes pas spécialiste des champignons, ils sont pourtant un sujet important pour vous. D’où vous vient cette fascination ?

Ce qui me fascine dans les champignons c’est leur côté caché. On ne les trouve souvent que lorsqu’on ne s’y attend pas, de même qu’une grande partie du champignon est dans le sol, invisible. Mais ce qui me fascine le plus c’est ce qui se tisse entre eux et nous. Ce n’est pas une curiosité personnelle qui m’a amenée à m’intéresser aux champignons, c’est la façon dont les personnes que j’ai rencontrées m’en parlaient. Cela fait une dizaine d’années que je consacre du temps à interroger les cévenols sur leur rapport à la Nature. Quand ils me parlent de leur rapport aux plantes, ils mentionnent les cueillettes de la grand-mère mais au passé. Cela ne semble plus être d’actualité. Par contre leurs yeux se mettent à briller dès qu’ils abordent les champignons. Pour beaucoup d’entre eux, ce lien est toujours vivant.

Peu à peu, ils ont “détourné” mon regard des plantes, et je suis allée de plus en plus souvent moi-même en quête de champignons en écoutant leurs conseils. Jusqu’à devenir comme eux, une férue de champignons. 

On retrouve ce lien entre humain et champignon dans chacun de vos textes présents dans le Solide Almanach Nourricier. Pourquoi ce lien est-il plus fort envers les champignons qu’envers les plantes ?

C’est une question pour moi, mais j’ai quelques hypothèses, appuyée sur les travaux de M. et Mme Wasson ainsi que ceux de Claude Lévi-Strauss. J’ai pu constater que tout le monde n’avait pas ce côté fasciné, mais qu’il y avait aussi de la répulsion. Il y a presque deux cultures opposées. L’explication nous ramène à des histoires très anciennes, jusqu’au paléolithique où les champignons pouvaient être des moyen d’entrer en contact avec le divin, comme par exemple en Sibérie où des amanites tue-mouches ont été utilisées par les chamans, ou encore les psylocibes au Mexique.

Les champignons ont probablement eu une importance considérable pour l’humanité en ces temps-là. Puis les religions évoluant, les monothéismes se mettant en place, il y a eu des manières différentes de digérer tout ça. Par exemple, on constate chez les peuples anglo-saxons un rejet, presque une diabolisation des champignons, alors que dans les peuples celtes ou méditerranéens l’importance des champignons dépasse le simple intérêt matériel. Ce sont évidemment des hypothèses, mais je trouve cela fascinant ! Une importance qui rejoint la réalité : par exemple, on estime à présent que sans les champignons, la vie ne serait probablement jamais sortie des océans. De savoir que les champignons ont été des clés pour l’expansion des végétaux sur la Terre c’est… waouh ! [rires]

De part vos lectures ou vos rencontres, avez-vous constaté de fortes disparités d’un pays à l’autre ? Ou même d’une région à l’autre en France ?

Malheureusement je n’ai pas encore pu faire d’étude comparative sur le sujet, même si je prête toujours une oreille attentive quand je voyage. Cependant, il y a une chose qui vient brouiller les pistes : la mondialisation. Elle vient petit à petit gommer ces différences, avec notamment tous les articles qui expliquent l’importance des champignons dans nos écosystèmes, toutes les personnes qui s’intéressent à la Nature… Des personnes à qui on a transmis au départ une attitude mycophobe vont être mises en contact avec des choses qui amènent à de la mycophilie, à de la fascination. Tout ce qui a été mis en lumière depuis vingt-trente ans sur le sujet amène à effacer cette dualité. Par exemple, s’il y a moins d’intérêt, de connaissances autour des champignons dans les pays anglo-saxons, j’ai pu constater que cette tendance est en train de s’estomper. 

Autre exemple que j’ai pu constater, dont parle également Claude Lévi Strauss dans ses études, les cévenols sont à la fois mycophobes et mycophiles : les cèpes et quelques espèces ont une grande importance pour eux, les cueillettes de ces espèces vont avoir un grand succès, mais ils n’ont aucun intérêt pour les autres champignons qu’ils ne nomment même pas et dont ils se tiennent à l’écart. J’ai une hypothèse qui répond au pourquoi de cette observation : au départ, le terroir culturel aux origines protestantes des Cévennes serait plutôt d’une tendance mycophobe – les champignons sont dangereux, on peut s’empoisonner, etc… Mais certaines espèces – en particulier les cèpes – ont été une manne financière très importante pour ces terres difficiles dont les habitants devaient faire feu de tout bois pour survivre. 

photo d'un champignon dans les feuilles d'automne.

Les champignons n’ont pas fini de nous dévoiler leurs secrets. Pour continuer cette fantastique aventure, nous vous donnons rendez-vous le 17 septembre de 14h45 à 15h15 à l’espace conférence de l’Étonnant Festin pour rencontrer Sophie Lemonnier. Tout au long de la journée, vous pourrez y découvrir : 

  • “Vaches ferrandaises, vaches d’avenir” avec Alain Guéringer, 11h-11h30
  • “Plutôt nourrir” avec Noémie Calais, 12h15-13h
  • “Des grand-mères en cuisine, le goût de la vie : le cinéma témoin d’histoires de transmission” avec Jonas Parienté, 13h15-14h
  • “Jardins familiaux, jardins alimentaires” avec Gil Melin, 14h-14h45
  • “Une ferme agro-écologique et citoyenne aux portes de Clermont” avec Bruno Corbara de 15h-15h45

Article écrit par Moïse Grelier